Les frais de déménagement en matière d’éviction
Les frais de déménagement constituent l’une des indemnités accessoires les plus courantes de l’indemnité d’éviction. Souvent cantonné à la production de devis et/ou de factures, l’expert en évaluation est confronté à un poste d’évaluation non défini qui ne permet pas au bailleur ou au preneur de quantifier précisément une éventuelle éviction. Alors même que le contentieux juridique est déjà amorcé, ce poste indemnitaire s’avère fréquemment peu documenté.
Naturellement, l’expert évaluateur n’est pas l’expert du déménagement, mais il doit parfois appréhender au plus juste l’indemnité d’éviction prise dans sa globalité. Ce poste est d’autant plus important qu’il est quasi systématiquement retenu, le preneur étant tenu de rendre, conformément au texte de l’article L.145-29 du Code de commerce, les locaux vides (CA Paris, 16ème ch A, 13 juin 1995, Lefevre C/ Bourreau ; CA Paris, 16ème ch. A 26 septembre 1995, Autin c/ Cattami, inédit ou encore TGI Paris 18ème ch. 2ème sect., 23 mars 2006, Gaz. Pal. Rec. Som 2006, p.4223).
Les ouvrages de référence en matière d’éviction abordent ce poste indemnitaire sans approcher la question des moyens d’évaluation, mettant en évidence d’une part la variabilité des coûts selon la nature des locaux et l’activité exercée et d’autre part leur nécessaire justification par des devis et ou factures (CA Paris, 30 septembre 2015, n° 07/15697).
Généralement, la partie prenant l’initiative de l’expertise n’a pas les moyens immédiats de faire réaliser ces devis de déménagement et le bailleur peut s’avérer dans l’incapacité de le chiffrer faute de clause de visite des locaux insérée dans le bail.
L’expert en évaluation immobilière profite souvent de sa visite pour caractériser la nature de l’activité, le niveau d’encombrement (notamment du stock) et apprécier l’ordre de grandeur des frais de déménagement.
Mais comment l’expert procède-t-il ?
En premier lieu, il rappellera bien utilement que les frais de déménagements « dits normaux » sont dus tant dans l’hypothèse d’un transfert du fonds que d’une perte, dès lors que la réinstallation est effectivement prévue (Cass. 3ème civ., 11 janv. 1968 : Bull. civ. 1968, III, n°10.)
Il rappellera la nécessité de disposer de justificatifs, sauf accord entre les parties. Cet accord n’étant dans la pratique pas si rare, le coût restant majoritairement assez faible en proportion de l’indemnité d’éviction globale.
Ce n’est qu’après la levée de toutes ces contraintes que l’expert, par son expérience passée, éclairera son client sur l’ordre de grandeur à retenir pour approcher le coût d’un déménagement.
Quelle que soit la nature du déménagement, le coût dépendra : 1) du volume et de la nature des biens à déménager, 2) de la distance du déménagement, 3) de la complexité du déménagement, 4) de la date du déménagement, 5) des éventuels services supplémentaires, 6) la notoriété de l’entreprise de déménagement.
L’industrie du déménagement a pour principale unité de mesure le mètre cube, puisqu’il traduit au mieux le niveau de manutention et le chargement du/des véhicules. Pour autant, il existe des équivalents au mètre carré, qui traduisent assez bien le niveau de manutention pour des locaux de type habitation, bureaux ou commerces.
Pour des locaux d’activité, locaux logistiques, locaux industriels, où la spécificité de l’activité de l’exploitant constitue le premier indicateur du coût d’un déménagement, l’usage d’un ratio métrique est bien plus hasardeux. Sur la base des 6 critères de coûts exposés, et pour un déménagement au sein d’une même localité, il faut généralement compter entre 50 € et 100 €/ mètre cube. Sur ces mêmes critères, les ratios en euros par mètre carré peuvent ainsi varier :
Pour 100 m2 de bureaux :
- Déménagement local (dans la même ville) : Entre 1 000 et 4 000 EUR soit : une moyenne de 25 €/ m2.
- Déménagement régional (dans le même pays) : Entre 3 000 et 8 000 EUR soit une moyenne de 55 € / m2.
Minimum : 10 € / m2. Maximum : 80 € / m2.
Pour 10 000 m2 de bureaux :
- Déménagement local : Entre 50 000 et 150 000 EUR soit une moyenne de : 10 € / m2.
- Déménagement régional : Entre 100 000 et 300 000 EUR, soit en moyenne, 20 € / m2.
- Services supplémentaires : Emballage, démontage et remontage, stockage temporaire, assurance, nettoyage peuvent ajouter entre 20 000 et 50 000 EUR, soit pour une moyenne de 210 000 € un ratio de 21 € / m2.
Minimum : 5 € / m2. Maximum : 35 € / m2.
Pour 200 m2 de commerces en centre-ville :
- Déménagement local: Entre 2 000 et 10 000 EUR
- Services supplémentaires : Emballage, démontage et remontage, stockage temporaire, assurance, nettoyage peuvent ajouter entre 1 000 et 5 000 EUR, soit pour une moyenne de 9 000 €, un ratio de 45 € / m2.
Minimum : 10 € / m2. Maximum : 75 € / m2.
Ces ratios relèvent du croisement de données issues de sites web d’entreprises du déménagement (AGS déménagement, Demeco, Les Gentlemen du déménagement…) mais également d’articles et guides sur le déménagement commercial (Movinga, Business.com) ou encore de forums tels Reddit. L’étude s’appuie également sur des publications de l’industrie de la logistique dont celle du Comité National Routier – les coûts du déménagement – enquête 2023 (actualisée à juin 2024).
Cette dernière enquête révèle ainsi une augmentation du coût de revient des opérations de déménagement de 22,4% entre 2019 et 2024 due à l’inflation, notamment sur la rémunération du personnel, le carburant, la maintenance des véhicules et le coût d’acquisition du matériel.
Elle propose également une méthode du « trinôme » pour estimer le coût de revient d’une opération de déménagement. Elle tient compte de trois facteurs principaux à savoir :
- Coût horaire de main-d’œuvre (CMO) x nombre d’heures.
- Coût journalier de mise à disposition d’un véhicule (CJ) x nombre de jours.
- Coût kilométrique (CK) x nombre de kilomètres parcourus.
À ces 3 facteurs est appliqué un coefficient d’imputation des coûts indirects de structure et de gestion (frais administratifs, loyers, taxes…) arrêté à 1,3798 en juin 2024.
Ces ratios permettent donc une première approche du coût de revient d’une opération, à laquelle il faut encore ajouter la marge, non prise en compte dans l’étude du CNR, qui est de l’ordre de 11% (Source Insee 2016/2017 4942Z – Services de déménagement). Cette étude présente quelques cas pratiques permettant de mesurer le coût de revient. Le cas le plus simple relève du déménagement pour un particulier de 27 m3 (soit selon Les Artisans du déménagement 0,4 m3 / m2 = env 67,5m2).
L’entreprise de déménagement « choisit d’affecter 1 porteur et 3 unités de main-d’œuvre sur ce déménagement qui est effectué en 1 jour. Le véhicule parcourt 100 km pour l’ensemble de cette opération de déménagement. Afin de calculer le prix de revient en tenant compte des coûts de structure, on retient les valeurs unitaires du trinôme CNR complet pour le type de véhicule choisi (cf. tableau 3.2 page 6). On multiplie ensuite chaque poste de coût du trinôme par le nombre d’unités consommées. » Il en résulte le tableau de calcul suivant :
1217,09 x 1,11 (taux de marge Insee) = 1351 € HT (soit 50 € HT/ m3 ou 20 € HT/ m2).
Il parait néanmoins assez périlleux à l’expert en évaluation immobilière de s’aventurer sur cette méthodologie, sauf à disposer de premiers éléments assez précis sur le type de véhicule nécessaire au déménagement ou encore sur la distance des locaux d’accueil, le plus souvent non identifiés, même en cours de procédure judiciaire. Cette étude reste au demeurant parfaitement cohérente avec les ratios précédemment énoncés.
Un relevé de jurisprudences permet également de se rendre compte de l’hétérogénéité des ratios retenus en matière d’éviction.
Si le ratio médian ressort à 26 € / m2, il demeure difficile d’entrevoir une tendance ou une règle absolue. L’échantillon, sans doute encore trop restreint, ne permet pas d’admettre une quelconque moyenne ou un ratio donné pour une activité donnée.
Ce relevé d’arrêts de Cours d’appel permet toutefois de constater que les frais de déménagement sont encore admis « forfaitairement » alors que la jurisprudence est pourtant constante sur la nécessaire communication de justificatifs ; les rapports d’expert jouant peut-être parfois le rôle de justificatif.
L’expert en évaluation, souvent sollicité pour appréhender un risque doit donc toujours et en premier lieu demander à son client que lui soit communiqué a minima plusieurs devis de sociétés de déménagement et ce n’est qu’à défaut qu’il pourra apprécier en ordre de grandeur ce poste indemnitaire afin de mesurer dans sa globalité le montant de l’indemnité d’éviction.