Loyer binaire, jurisprudence bipolaire

Loyer binaire, jurisprudence bipolaire

Le sujet de la compétence du juge en matière de loyers binaires fait de nouveau l’actualité jurisprudentielle. Dans la continuité de l’excellente publication de notre confrère Jean-Pierre Dumur dans le dernier numéro de l’AJDI, nous vous proposons un résumé chronologique des positions de la jurisprudence à ce sujet. 

 

  • INCOMPETENCE DU JUGE 

10 mars 1993 (Arrêt Théâtre Saint-Georges, Civ. 3e n° 91-13.418)

La Cour de cassation avait jugé que « le loyer de renouvellement d’un bail comportant un loyer « binaire », c’est-à-dire un loyer composé d’une partie fixe et d’une partie variable déterminée en fonction du chiffre d’affaires du preneur, n’était régi que par la convention des parties ». 

Cela signifiait que le juge ne pouvait intervenir dans la fixation du loyer si les parties se sont entendues sur un loyer binaire. 

 

7 mai 2002 (Arrêt Méridien Montparnasse, Civ. 3e n° 00-18.153) 

La Cour de cassation a confirmé cette jurisprudence : « En l’absence d’accord des parties sur le montant du loyer renouvelé d’un bail à loyer variable, la clause du loyer du bail initial doit être reconduite dans ses deux éléments sans que le juge ait le pouvoir de la modifier. »  

Cette décision réitère que le juge ne peut modifier les termes d’un bail si les parties n’ont pas trouvé un accord. 

 

  • INCOMPETENCE EN RAISON DE L’ABSENCE DE REFERENCE AUX TEXTES
     

9 janvier 2013 (Arrêt Bordeaux, n° 10/06831)

La Cour d’appel de Bordeaux a jugé : « Lorsqu’une clause du bail stipulant un loyer binaire prévoit uniquement que le loyer de base ne pourra en aucun cas être inférieur à la valeur locative sans faire référence aux textes du statut des baux commerciaux, le juge des loyers n’a que le pouvoir de constater l’accord des parties. En cas de désaccord, il ne dispose d’aucun pouvoir pour fixer en leur lieu et place le prix du bail renouvelé. »  

Ce jugement introduit la notion de « référence aux textes » pour déterminer la compétence du juge. 

 

9 septembre 2014 (Arrêt Cour de cassation, Civ. 3e n° 13-14.448) 

La Cour de cassation a confirmé l’arrêt de Bordeaux et a jugé que « ayant constaté que le loyer était binaire et comprenait une partie déterminée (le loyer de base) et une partie variable en fonction du chiffre d’affaires du preneur, et retenu par une interprétation souveraine des clauses du bail que le loyer de base correspondait à l’évaluation faite par les parties de la valeur locative sans qu’il soit fait référence pour son indexation et son évaluation en cas de renouvellement aux textes du statut des baux commerciaux, la cour d’appel a pu en déduire que faute d’accord entre les parties sur le loyer de renouvellement, elle était incompétente pour fixer ce loyer en leurs lieu et place. »  

Ce passage souligne que l’absence de référence explicite aux textes du statut des baux commerciaux dans le bail a privé le juge du pouvoir de fixer un nouveau loyer. 

  

  • INCOMPETENCE ABSOLUE EN RAISON D’UNE INCOMPATIBILITE AVEC LES REGLES STATUTAIRES 

19 février 2015 (Arrêt Aix-en-Provence, n° 13/11349) 

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé : « Si l’existence d’une clause de loyer binaire fait échapper la fixation du loyer renouvelé aux dispositions du statut, c’est en raison de l’incompatibilité existant entre la clause recettes et les règles statutaires relatives à la fixation du loyer. »  

 Cela signifie que la nature binaire du loyer rend les règles des baux commerciaux inapplicables.  

Contrairement aux précédentes décisions, celle-ci considère donc une incompétence absolue du juge en la matière. 

 

  • COMPETENCE PARTIELLE ET CONDITIONNEE A UNE CLAUSE CONTRACTUELLE EXPRESSE  

3 novembre 2016 (Arrêt de principe, Civ. 3e n° 15-16.826 et n° 15-16.827) 

La Cour de cassation a censuré cet arrêt et a jugé que : « La stipulation selon laquelle le loyer d’un bail commercial est composé d’un loyer minimum et d’un loyer calculé sur la base du chiffre d’affaires du preneur n’interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer lors du renouvellement le minimum garanti à la valeur locative. »   

Cette décision réintroduit la possibilité pour le juge d’intervenir pour fixer le loyer minimum garanti en cas de désaccord. 

 

  • ILLICEITE D’UNE CLAUSE DE FIXATION PARTIELLE 

19 septembre 2017 (Arrêt Versailles, n° 16/03805) 

La Cour d’appel de Versailles a jugé qu’une clause stipulant une soumission partielle aux règles des baux commerciaux « tente ainsi de réintroduire la procédure et les modalités de fixation du loyer telles que prévues au statut des baux commerciaux pour une partie seulement du loyer. Une telle clause est illicite et doit en conséquence être déclarée nulle et de nul effet. »  

La Cour rejette ici les tentatives de soumission partielle aux règles statutaires pour une partie seulement du loyer. 

 

  • COMPETENCE PARTIELLE ET CONDITIONNEE A UNE CLAUSE CONTRACTUELLE EXPRESSE 

29 novembre 2018 (Arrêt Cour de cassation, Civ. 3e n° 17-27.798) 

La Cour de cassation a cassé l’arrêt de Versailles selon ces termes : « La stipulation selon laquelle le loyer d’un bail commercial est calculé sur la base du chiffre d’affaires du preneur sans pouvoir être inférieur à un minimum équivalent à la valeur locative des lieux loués n’interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour évaluer lors du renouvellement la valeur locative déterminant le minimum garanti. »  

Cela réaffirme que le juge peut intervenir pour fixer la valeur locative minimale même dans le cadre d’un loyer binaire. 

 

24 février 2022 (Arrêt Aix-en-Provence) 

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rappelé que « la fixation d’un loyer binaire échappe aux dispositions du statut des baux commerciaux et ne peut être régie que par la convention des parties, sauf dans l’hypothèse où en cas de désaccord entre elles une stipulation expresse du bail attribue compétence au juge. »  

Cela confirme que l’autonomie des parties prévaut, sauf si le contrat prévoit explicitement un recours au juge. 

  

  • COMPETENCE CONDITIONNEE A LA VOLONTE DES PARTIES MÊME IMPLICITE 

30 mai 2024 (Arrêt de principe, Civ. 3e n° 22-16.447) 

La Cour de cassation a censuré la décision précédente en déclarant : « Il appartient au juge des loyers commerciaux, lorsqu’il est saisi d’un tel moyen de défense au fond, de rechercher cette volonté commune contraire soit dans le contrat soit dans des éléments extrinsèques. »  

Cela signifie que même en l’absence de clause explicite, le juge doit examiner si les parties avaient l’intention implicite de recourir à une fixation judiciaire du loyer à la valeur locative. 

 

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